81. Si le gwoka m'était conté
* On écrit "gwoka" ou "gwo ka"
Les chants, les danses et le langage des tambours du gwoka, ont pris racine dans l'esclavage. Héritage d'une mémoire, le gwoka est le plus africain des genres musicaux des petites Antilles.
Longtemps interdit ou menacé, le gwoka a dépassé aujourd'hui ses origines rurales. Il a retrouvé ses lettres de noblesse avec l'avènement du mouvement culturel guadeloupéen dans les années 70, grâce notamment à des figures devenues légendaires comme Ti Papa, Lin Camphrin, Guy Konket, Napoléon Magloire et d'autres encore. Depuis, le gwoka est véritablement devenu la quintessence de la danse et du rythme de l'île.
L'origine du mot ka ou gwoka demeure très ambiguë. Il serait la forme francisée de goka, nom troqué du tambour N'goka que l'on retrouve dans le haut Dahomey et en Angola, mais viendrait plus probablement de "quart de tonneau", ces barriques en bois qui servaient dans le temps au transport de la viande ("les quarts de salaison") et qui étaient quatre fois plus petits qu'un tonneau transportant des salaisons.
Autrefois moyen de communication propre à la campagne, le gwoka fut par la suite étendu à la ville. Il se prête aujourd'hui au type de soirées où il se produit ; on les appelle "les lewoz". Au gwoka traditionnel (tambours, chants et danses) influencé par la musique caribéenne en général, se greffent parfois flûtes, saxophones, cuivres, claviers, donnant naissance à de nouvelles recherches harmoniques. Mais la meilleure façon de s'initier à l'art du ka est encore de se plonger l'espace d'une soirée dans l'ambiance d'une "swaré Lewoz".
Au programme, musique et danse. Le public, résidents et touristes, fait face au groupe. Lewoz indestwas (nom donné au lewoz joué en Grande-Terre) ou Lewoz Jabrun (nom donné au lewoz joué en Basse-Terre), on assiste à une véritable démonstration. Les tambours ka ne tardent pas à résonner, scandant les 7 rythmes* du gwoka, accompagnés du tibwa*, des cha-cha*, du siyak*...
Le scénario repose sur un subtil dialogue entre la danseuse et le tambouyé (tambourineur). La clé de voûte, c'est le "maké", juché à califourchon sur son tambour, entouré du "boula" marquant le rythme de base, le tambour que "Carnot", célèbre tambouyé guadeloupéen, appelait "le mâle". Fabriqué avec la peau de cabri mâle, il émet un son plus grave que le "maké" utilisant une peau de cabri femelle. "Maké" et "Boula" désignent autant l'instrument lui-même que celui qui en joue. Le chanteur, quant à lui, improvise les paroles autour d'une base connue de tous les initiés.
Aidés par le ti punch ou le planteur servis avec quelques accras, les esprits (et les corps) s'échauffent et le rythme s'accélère. Entrez dans la ronde !
Chacun est appelé à taper sur les ka, avec plus ou moins de bonheur. Ce n'est pas si facile que ça ! Et puis, comment résister quand la jolie danseuse vous invite à tenter un talon-pointe, gauche vers la droite, pointe du pied droit à gauche, pointe du pied gauche à droite, et en cadence s'il vous plait. Mimant l'esquive, la chasse, la lutte ou encore la coupe de la canne, le rythme est alors frénétique, retenu ou cabré. On recommence pour ceux qui n'ont pas compris...
Finalement peu importe. l'essentiel est de se sentir porté par une danse et un son qui, quand ils sont vécus, n'apportent que joie et communion.
* Les 7 rythmes du ka :
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le Lewoz est un rythme guerrier qui rythmait les attaques de plantations, mais aussi une danse incantatrice,
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le Kaladja symbolise pour les uns la lutte en amour et, pour d'autres, le deuil,
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le Kagenbel est une danse de la coupe de la canne,
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le Toumblak, comme le Kaladja, reprend le thème de l'amour, la danse de la fertilité, de la terre. Une sorte de "danse du ventre".
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le Graj accompagne les travaux des femmes entre grajé manioc, jardinage et cueillette,
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le Roulé est la "valse créole" pour charmer et singer le Blanc, maître de la plantation,
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le Mindé serait le dernier rythme arrivé au pays avec les Congos (entre 1857 et 1862, 10 000 Congolais sont engagés sous contrat après l'abollition de l'esclavage). Il symbolise le carnaval, la fête collective.
* le tibwa : deux baguettes de bois avec lesquelles on frappe sur un morceau de bambou ou sur un tambour couché.
* le sillac ( ou siyak) : bambou strié frotté avec une baguette.
* le cha-cha : maracas fabriqué à partir d'une calebasse vidée et remplie de graines.
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